Emotional Rescue
Utiliser la technologie de l’analyse corporelle pour révéler des émotions enfouies à travers d’imposantes œuvres d’art immersives : voilà l’idée de l’artiste hollandais contemporain Nick Verstand, qui redonne tout son sens à l’expression « connectés ».
Esper 2018 by Nick Verstand @artcentral
Il y le reflet silencieux d’AURA, qui utilise des biosenseurs pour deviner les émotions des spectateurs. Il y a la captivante ANIMA, une sphère lunaire et ondulée, qui réagit par des expressions audiovisuelles à la présence du public – un moyen de nous faire réfléchir à notre relation à l’intelligence artificielle. Découvrir l’une des installations de Nick Verstand, c’est faire un pas dans l’inconnu, pour s’y découvrir soi-même.
De l’artiste de 34 ans se dégage une impression de calme et de force qui se retrouve dans ses œuvres, sorties tout droit d’un autre monde. Après un master en composition musicale à l’université des arts d’Utrecht, il a commencé à travailler dans l’évènementiel et comme DJ. C’est au travers de la musique qu’il a découvert la relation cinétique qui existe entre un DJ et son audience : un combustible que les deux acteurs se partagent, source d’énergie vitale. Cette relation est à la base de son art, qui se « concentre sur l’expérience de l’audience » avant tout, explique l’artiste. Le but ? Partager « ce sentiment d’être interconnectés », et en profiter pour abattre les barrières sociales entre les gens.
L’amour de Nick Verstand pour la musique, combiné à ce qu’il décrit lui-même comme une « exploration curieuse et ludique » l’a poussé à créer des œuvres collaboratives, comme POLARIS (2016), qui tenait autant de l’installation artistique que du concert. Dans le public, vingt personnes étaient équipées de biosenseurs. Les ondes parcourant leurs cerveaux, les battements de leurs cœurs et les frissonnements de leurs peaux étaient enregistrés instantanément, nourrissant une sorte de « base de données » émotionnelles. Ces données étaient retransmises par un jeu de lumières projetées sur une forme circulaire au milieu de l’audience. En ajoutant de la musique électronique en guise de fond sonore, Nick Verstand a inventé sa propre rave artistique. Loin d’être de simples spectateurs, les participants ne faisaient pas qu’admirer l’œuvre : ils étaient en train de la créer.
En 2017, l’œuvre AURA abolit une barrière de plus entre l’artiste et le spectateur. Cette installation audiovisuelle et lumineuse a été présentée l’année dernière à la semaine du design de Hollande, en collaboration avec l’institut hollandais de recherche scientifique appliquée (TNO). Comme POLARIS, l’œuvre utilise des biosenseurs pour collecter des informations. Ces données, raconte Nick Verstand, « devinent l’état émotionnel de quelqu’un par un algorithme qui classe les émotions ». Cet algorithme a été perfectionné pour « reconnaître des émotions de manière plus précise, en étudiant les réactions de personnes écoutant un morceau de musique ».
L’œuvre AURA, ce sont des personnes, étendues par terre sur des coussins, écouteurs sur la tête, entourées par un halo lumineux qui correspond à leurs émotions. Et AURA ne ment pas, précise son créateur. « Nous avons associé chaque couleur à une émotion ressentie par le participant, et chaque mouvement naturel de la lumière à l’activité de l’onde cérébrale dominante, pour prouver que le système fonctionne en temps réel. » Vous voyez ce sentiment d’être subjugué par une peinture ou par une chanson ? Nick Verstand a récupéré l’émotion au centre de cette sensation, et l’a transformée en œuvre d’art.
Vouloir tout montrer, sans filtres, à l’heure où tout est retouché pour avoir l’air parfait, ça change ! Nick Verstand est bien conscient du pouvoir à double tranchant des réseaux sociaux, capables de « faire connaître des artistes à beaucoup de monde, tout en les écartant de la véritable expérience artistique ». Ce qu’il espère, c’est que ses œuvres soient si captivantes que les spectateurs en oublient de les prendre en photo.
Pour échapper à l’omniprésence du numérique, les artistes ont toujours fait preuve de créativité mais rarement en utilisant les technologies. Avec son œuvre ANIMA (2014), l’artiste s’est servi de l’intelligence artificielle pour transporter son public « dans une autre dimension en termes de perceptions, plus paisible, à l’écart du monde extérieur et de ses agitations. Un espace où leur subconscient et leurs émotions peuvent se développer, où ils peuvent communiquer avec les autres, loin des barrières de la vie quotidienne. »
“Attention quand même de ne pas surestimer l’importance des artifices technologiques dans les œuvres d’art », prévient Nick Verstand. Il insiste : « Ce sont juste des outils, un peu comme de la peinture ». Ce qui compte, c’est l’humain, avant la technologie : « La technologie, coupée de l’interprétation de l’homme et de ses émotions, n’a aucun sens. Grâce à elle, nous pouvons observer (…) ce qui est à l’intérieur de nous-mêmes, (…) et le révéler au grand jour. »
L’expérience, bien que personnelle, s’insère dans un processus collectif qui rapproche des gens qui ne se seraient peut-être jamais rencontrés dans la vie. « Il y a beaucoup plus de ressemblances dans nos expériences émotionnelles en tant qu’humains » que de différences, soutient l’artiste.
Nick Verstand jette les bases de cette quête personnelle, mais laisse une large marge de manœuvre à son public. “ Une œuvre d’art est réussie si elle laisse de la place à l’interprétation. Au spectateur de la compléter, grâce à ses souvenirs et son expérience ». C’est au public de remplir le vide à l’intérieur du halo lumineux d’AURA.
L’artiste se remémore une réaction à l’occasion de l’une de ses installations. « Une femme a participé à ANIMA avec son fils. Elle l’a contemplée pendant longtemps. Lorsque je lui ai demandé ce qu’elle en avait pensé, elle m’a raconté qu’elle avait vécu une expérience traumatisante par le passé, et n’avait pas souri au cours de ses trois dernières années de thérapie, jusqu’au moment où elle a vu ANIMA. Je n’aurais jamais osé rêver pouvoir toucher quelqu’un comme ça par mon travail. »