Urban Wonderland
La plateforme de média Hiya ouvre une porte au public sur la culture urbaine, pas seulement via du contenu en ligne mais également à travers des évènements réels mensuels, avec pour objectif de faire le pont entre le digital et le vrai monde.
Graph by @akajimmyc
Vous n’avez peut-être pas entendu parler de Hiya, mais une fois que vous aurez navigué sur leur nouveau site internet qui sera lancé au mois d’octobre, vous aurez l’impression de tomber dans le terrier d’un lapin. En cours de développement, il promet d’être un diamant caché dans le monde du digital, une créativité analogique qui s’invite sur votre écran surgissant au milieu d’innombrables contenus décevants, un peu comme un mur multicolore qui jaillirait d’une jungle d’immeubles de bureau, ou comme une fleur qui pousserait entre les pavés.
Fondé il y a trois ans par un duo de trentenaires, Abdallah Slaiman et Jean-Christophe Filippini, Hiya est un média en ligne dont la mission est de promouvoir la culture urbaine pour le moment à Paris, puis dans d’autres lieux en France et dans d’autres capitales du monde. Les deux entrepreneurs sélectionnent des contenus de street art, de break dancers, de beatboxers, de rappeurs et de skaters pour les promouvoir sur leur site internet et leurs réseaux sociaux. Ils organisent également des évènements mensuels présentant les travaux de ces forces créatives à une audience réelle, physique.
Leur projet initial est parti du concept consistant à faire le pont entre l’écran et la réalité. « C’est notre but. Le projet initial est parti de là. C’était de recréer du lien dans le réel en partant du constat que tout le monde s’enfermait dans une image virtuelle, les réseaux sociaux, etc.. » explique Abdallah Slaiman. Ils travaillent avec des artistes pour créer du contenu qui existe en ligne et dans le royaume du réel que ce soit dans la rue, avec les marques, exposé lors d’évènements ou en collaboration avec des institutions. “L’idée c’est de faire le lien entre l’artiste et le public, ses publics” dit-il.
Graph by @yol_insta
S’ils utilisent -voire étreignent- le monde du digital, car il fait partie de leur business modèle, ils sont conscients de ses limites et tentent de trouver des solutions. Abdallah Slaiman remarque avec un ton posé, « En tant qu’humains, on est analogues et pas numériques » Pour les « street artists », qui ne font souvent pas partie des galeries traditionnelles, les médias sociaux sont un moyen de se connecter au public. Comme le dit Jean Christophe Filippini, « Instagram, dont l’axe est grand public, est le media principal qui diffuse ce genre d’artistes mais où il n’y a aucune experience vécue ni aucune réelle transmission » Et c’est ce décalage qu’ils essaient de combler en accueillant des évènements -le premier avait attiré une foule de 1000 personnes- et en fédérant des communautés autour de ce centre d’intérêt commun qu’est la culture urbaine.
Une autre disparité qu’ils espèrent rééquilibrer est l’influence en ligne versus la véritable portée. Abdallah Slaiman regrette que les directeurs marketing ne soient désormais que des statisticiens, ne prenant en compte que le nombre de followers qu’une personne a sur son compte, « alors que l’influence ne peut être mesurée qu’avec ce seul critère – encore moins quand on en vient à parler de l’influence artistique, qui est la véritable influence d’après moi. » Par conséquent, ils espèrent faire une remise à niveau, faire la différence entre le nombre de followers qu’un artiste a et le véritable impact de son travail. Jean Christophe Filippini établit clairement leurs intentions: « il y a beaucoup d’artistes dont la notoriété est importante sur Instagram mais cela ne signifie pas qu’ils vendent leurs oeuvres. C’est cette distortion que nous essayons de régler. »
A ce titre, Hiya inclut également un e-shop dans son offre, mettant en vente des oeuvres d’art telles que des sérigraphies, des skateboards customisés. « Cela permet aux artistes de vivre de leur art, de pouvoir continuer à créer et cela permet aux acquéreurs de s’initier » explique Abdallah Slaiman. Alors qu’une oeuvre originale représente un certain coût, les impressions écran sont à des prix plus accessibles afin de permettre à toute personne d’acheter sa première oeuvre d’art. « Et cela crée un lien: c’est une transmission forte que de pouvoir disposer de l’oeuvre d’un artiste chez soi, » continue Jean Christophe Filippini.
Il semble légitime que la jeune entreprise française – composée de ses deux fondateurs et de trois autres membres- soit basée à la Station F à Paris, un vaste cadre de béton gris qui se revendique être le plus grand campus de start-up dans le monde, et qui est parsemé de grandes et impressionnantes oeuvres d’art symbolisant, à plus d’un titre, le lien entre l’art contemporain et le cadre urbain qui l’accueille.
En effet, la culture street est en train de devenir de plus en plus populaire, un gros business qui doit être merchandisé pour être vendu aux masses comme quelque chose de “cool”. Hiya, au contraire, souhaite rester authentique en cultivant une communauté de followers en lien direct avec le travail des artistes. “Notre idée est d’avoir une communauté forte pour garantir la liberté des artistes et leur permettre de s’exprimer sans être trop contraints par les marques. C’est justement pour cela que l’on développe un média et que l’on fédère une communauté : ne pas être à la merci de marques qui voient le public comme des consommateurs et par conséquent l’artiste comme le simple outil qui permettra de leur vendre quelque chose. Notre objectif est de faire vivre une expérience et d’inviter les gens à aller au delà du simple acte de consommation que la plupart des structures de notre société offrent aujourd’hui ” dit Jean Christophe Filippini.
Il est clair qu’Abdallah et Jean Christophe ne sont pas des start-uppers standards. Le duo, qui a grandi en Corse s’est retrouvé sur des idées communes. « Nous nous sommes rejoints sur une même philosophie et une même idée du monde; des valeurs et des idées presque identiques. » raconte Jean Christophe, se remémorant leur première rencontre. Et quelles sont ces valeurs? « L’anti-conformisme, la liberté, la créativité, l’ouverture d’esprit, l’humanité. Des valeurs européennes que personne ne défend, du moins très peu d’entrepreneurs ou de start-uppers, » dit Abdallah. Il poursuit en disant que la philosophie de Hiya est basée sur la créativité dans un monde digital en progression: « Dans notre monde ultra complexe et très techno-centré, c’est la culture et l’engagement qui font la différence. L’artiste a toujours été celui qui faisait le pont entre aujourd’hui et demain et qui a nourri notre créativité, notamment dans le monde d’aujourd’hui qui est en perpétuel mouvement, qui bouge si vite et qui est interconnecté dans tous les sens. Nous essayons de donner une voix à ceux qui créent aujourd’hui et aux mouvements artistiques contemporains qui viennent pour la plupart du hip-hop et de la culture urbaine. »
Une phrase qui surgit souvent sur le site de Hiya et sur ses réseaux sociaux est « follow the rabbit » (suivez le lapin) avec une petite créature, sorte de mascotte de la marque. Il fait référence, entre autre, à Alice au pays des merveilles et au fait qu’être suffisamment curieux est une clef pour explorer la créativité d’un monde digital isolé et monotone. Ou, comme le dit Abdallah Slaiman: “Aller chercher la vérité et ne pas forcément s’enfermer dans le conformisme ou le mensonge. Alors on dit suit le lapin, suit ton coeur, suit ton instinct et deviens qui tu dois devenir…” Et c’est dans ce genre de trou de lapin que nous souhaiterions tomber.