Shake it up
Exploration du label avant-gardiste BOTTER crée par le duo de stylistes néerlandais Rushemy Botter et Lisi Herrebrugh nouvellement nommés directeurs créatifs de la célèbre maison de couture française Nina Ricci.
Rien ne gâche autant le plaisir procuré par la mode qu’une méditation sur-intellectualisée sur la gravité. En effet celle-ci a le pouvoir d’être un antidote à la gravité – une sorte d’évasion « prêt à porter ». Nous nous regardons dans le prisme de la mode pour nous convaincre, nous-même et les autres, que nous sommes le genre de personnes que nous avons toujours rêvé d’être, vivant le meilleur de nos vies. Il faut un talent spécial et extrêmement rare pour injecter une dose de dure réalité au sein de la bulle frivole de la mode, ce sans qu’elle éclate.
Voici le label avant-garde BOTTER du duo néerlandais Rushemy Botter et Lisi Herrebrugh.
Monsieur Botter et Madame Herrebrugh sont les lauréats du festival de Hyères 2018 – un pow-wow Français prestigieux qui a lieu dans une fabuleuse villa moderniste de la cote d’azur, la villa Noailles, où des talents émergents sont sélectionnés et primés par le panel d’une élite select – panel composé cette année de Tilda Swinton, Farida Khelfa, Haider Ackermann, Delfina Delettrez, Fendi et Lou Doillon.
La collection présentée à cette occasion a dévoilé un mélange virtuose de trash-tailoring; Un street-style glamour emprunt d’une sombre histoire d’effondrement écologique et des récentes tragédies humaines en mer Méditerranée. De magnifiques tissus à motifs ont été utilisés pour créer des costumes aux volumes modernes et acérés, des hoodies sont assumés sur un port de tête empilé de casquettes de baseball, le tout accessoirisé de débris en plastique qui nous rappelle aux amas qui flottent et dérivent sur la surface des océans et dont la superficie dépasse celle d’un pays comme la France .L’élément narratif en sous-texte révèle l’obscurité inéluctable qui afflue depuis trois ans au sein de chaque foyer européen : décoloration des récifs coralliens, océans étouffés par des zones mortes en expansion – vidés par la bruine incessante de l’activité humaine – enfants réfugiés et repêchés, souvent morts ou mourant.
Un châle ressemblant à un filet de pêche drapait le cou d’un mannequin, le faisant ressembler à une tortue de mer prise dans un filet ou un emballage plastique. Un autre portait un foulard fait du type de sac en plastique jetable aujourd’hui interdit dans la plupart des pays d’Europe et des côtes ouest-américaines. Un flotteur de survie attaché au poignet de l’un d’eux apportait une touche finale particulièrement sévère.
Et en même temps, le message était des plus optimistes: il s’agissait d’hommes de couleur (tous les modèles étaient noirs) émergeant triomphalement d’un paysage marin turbulent et pollué.
Leurs corps ont été drapés de détritus abandonnés par les organes dévastateurs d’une prédation d’origine coloniale et des stéréotypes raciaux.
Madame Herrebrugh et Monsieur Botter ont dépeint leur fascination pour la manière dont les populations des pays en développement déploient une créativité extrême en réponse à la contrainte de l’adversité et leurs collections sont un hommage à l’ingéniosité et à la résilience du tiers-monde. Le tout ayant été émergé sans le moindre jugement dévot. Les collections sont empreintes de légèreté et de spontanéité et on entrevoie que l’obscurité de l’élément narratif passerait probablement inaperçu auprès des protagonistes bienfaiteurs les moins brillants de la mode.
Rushemy Botter et Lisi Herrebrugh ont tous deux des liens ancestraux avec les Caraïbes (respectivement: Curaçao et la République dominicaine) et l’ADN de leur label est une double hélice composée de deux brins : 1.) le style d’un monde en développement, et 2.) une tradition et un savoir-faire européens.
Rushemy Botter, qui a passé la plus grande partie de sa vie à Amsterdam, est diplômé de l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers où il a été parrainé par Walter Van Beirendonck puis, au cours de son année de maîtrise, par Dirk Van Saene. Lors de sa deuxième année à l’Académie, il a remporté le prix de l’étudiant le plus prometteur et, en peu de temps, a été invité à présenter une collection pendant la Fashion Week de New York après avoir reçu le prix VFiles Runway 7 sous l’égide de Jerry Lorenzo, Naomi Campbell et du rappeur Young Thug.
Lisi Herrebrugh est née à Amsterdam d’une mère dominicaine et d’un père néerlandais et a grandi dans un univers bilingue. Elle est diplômée de l’AMFI (Institut de la mode d’Amsterdam), où elle a obtenu son diplôme avec distinction, avant d’assister Viktor & Rolf lors de leur retour triomphal au sein du calendrier de la couture parisienne après 13 ans d’absence.
La singularité poignante et sophistiquée de BOTTER est le produit d’une approche très personnelle de la création, passée par le filtre de la famille et des souvenirs. Le duo explique comment leur collection révolutionnaire (nommée Al Fombra) avait été inspirée, en partie, par les cabanes à loto que l’on trouve dans toute la République dominicaine et à Curaçao. Les gens vont dans ces cabanes avec l’espoir que leurs rêves ambitieux se réaliseront un jour au passage d’un éclair de bonne fortune, même si, au fond, ils savent que la plupart sont des entreprises corrompues qui ne paieront jamais. La collection entière était imprégnée de l’ambivalence de ce sentiment pessimiste.
Rushemy Botter et Lisi Herrebrugh, qui ont obtenu leur diplôme en 2014, ont été nommés directeurs artistiques de la célèbre maison française Nina Ricci en août 2018, à la grande surprise de l’univers de la mode parisienne, dans laquelle les designers font généralement un va et vient depuis un pool fermé de candidats et où les outsiders passent généralement plusieurs années à travailler de façon anonyme au sein d’équipes de création avant de gagner un légitime « haut de l’affiche ».
Nina Ricci appartient à la multinationale espagnole Puig, dont le président des marques et marchés, José Manuel Albesa, a déclaré à WWD: «Nous recherchions quelqu’un d’exceptionnel. Ils ont fait des croquis pour nous faire part de leur vision de la marque et j’ai été vraiment surpris car ce n’était pas une évolution, c’était une révolution ».
Le duo de designers a déménagé d’Anvers à Paris en septembre avec BOTTER et son esthétique unique: celle qui a le potentiel d’incarner une diversité si nécessaire dans la sphère fermée et égo-centrée de la mode masculine parisienne – un petit monde d’élite qui s’inspire et s’adresse principalement à une population caucasienne. On a hâte de les voir le perturber.