Beyond what the eye can see
L’illustration de mode est en quelque sorte un miroir déformant qui permet, comme par magie, d’entrevoir les reflets d’une réalité qui lui ressemble à s’y méprendre. Ou, comme le dit Marc-Antoine Coulon, illustrer est avant tout un processus créatif qui nécessite « d’aller au-delà de son regard ».
Catherine Deneuve by @marcantoinecoulon
Marc-Antoine Coulon a débuté sa carrière d’illustrateur au sein de l’industrie musicale : « Plus personne n’écoutait de CDs, et aucun professionnel n’avait encore eu l’idée de remettre les vinyles au goût du jour. J’évoluais dans une industrie sur le déclin, qui n’avait que peu d’estime pour les arts visuels. Avec mes employeurs, nous n’étions pas vraiment sur la même longueur d’ondes. La considération qu’ils avaient de mon travail était à la hauteur de la production d’une application de smartphone, il attendaient de moi la création d’illustrations à partir de photographies, leur évitant ainsi d’avoir à payer des droits à un photographe professionnel.
Difficile de travailler dans ces conditions… Mais j’aime relever des défis. En me posant toutes ces contraintes, l’industrie de la musique me poussait en quelque sorte à être d’autant plus créatif. J’ai beaucoup appris de cette période-là. »
Assez, en tout cas, pour que l’un des magazines féminins les plus réputés de Paris : Madame Figaro, lui confie ses pages. Un rêve d’enfant pour Marc-Antoine Coulon, qui dévorait dans sa jeunesse ces pages de papier glacé et se fascinait pour le travail de René Gruau, l’un des illustrateurs les plus influents et respectés du XXe siècle. René Gruau disait d’ailleurs d’un dessinateur que « plus il savait s’éloigner des sentiers battus, plus il avait une chance de faire du bon travail ». Alliance brillante de tradition et de modernité, les portraits mordants de Marc-Antoine Coulon livrent savamment l’essence même de leurs célèbres modèles (la fossette « façon Joconde » du sourire de Jean-Paul Gaultier, l’énigmatique charme distant de Catherine Deneuve, l’intellect radieux d’Inès de la Fressange). Certains aspects de ses dessins, précis, détaillés, attirent le regard, tandis que d’autres parties de l’image semblent se fondre dans la page blanche ou au milieu d’un éclat de couleurs.
Couture collection 2019 for © Madame Figaro by @marcantoinecoulon
La citation de René Gruau résonne de manière particulière chez Marc-Antoine Coulon : « Le grand défi de notre travail consiste en effet à ne pas faire ce que les autres attendent de nous, » explique-t-il. « Souvent, mes clients ont une idée précise de ce qu’ils souhaitent. Mon travail, c’est d’abord de leur montrer que je peux faire encore mieux que ça. La plupart du temps, j’arrive à faire exactement ce qu’ils me demandent, tout en allant plus loin dans la création et l’inventivité. » Il lui faut pourtant adapter son processus créatif aux réalités de son travail : « Il arrive régulièrement que [mes clients] me demandent de faire des croquis, mais je ne suis pas très doué pour ça. Dessiner, c’est un peu comme faire l’amour : soit vous le faites avec passion, soit vous ne le faites pas du tout ! Je vois le dessin comme une activité très sensuelle, que je ne peux pas faire à moitié. Même mes croquis ressemblent à des illustrations. De simples esquisses au crayon ne permettent pas de retranscrire l’œuvre que j’ai dans la tête. Je veux que mes images parlent d’elles-mêmes, qu’elles étonnent, qu’elles génèrent un effet « Wow », et je ne sais pas faire ça avec de simples croquis.
Les images de Marc-Antoine Coulon laissent la part belle à une projection et, comme dans un jeu d’enfant, l’imaginaire prend forme en reliant chaque point à un autre point. L’illustrateur respecte l’intellect de ceux qui regardent son travail. « Vous devez faire confiance à vos spectateurs, les laisser faire leur propre interprétation à partir des indices que vous avez parsemé. A partir du moment où vous exposez, vos dessins ne vous appartiennent déjà plus. Vous les accrochez, les visiteurs rentrent dans la pièce, et votre art vous échappe. Il part vivre sa propre vie, en quelque sorte, sur laquelle vous n’avez plus de prise et qui ne correspond peut-être pas à l’intention que vous y avez mise. C’est une question de confiance mutuelle : l’audience fait confiance à l’artiste, qui lui accorde sa confiance en retour pour comprendre son œuvre. D’où l’importance de savoir distiller les bons indices.»
Julianne Moore by @marcantoinecoulon