Sensory Overload
Comme une envie de stimuler vos sens ? De humer l’air imaginaire d’un coucher de soleil sur la plage et d’une margarita frappée ? Plongez dans l’univers intensément coloré de l’artiste australien Jonny Niesche.
‘Mutual vibration’ (love light) par Jonny Niesche 2017 @ Sarah Cottier Gallery
Des nuances intenses de rose, de bleu et de vert. L’œil est instantanément attiré par les couleurs électrisantes de l’artiste australien Jonny Niesche. Il suffit de parcourir son compte Instagram (@jonnyhonky) ou son site internet (www.jonnyniesche.com) pour percevoir l’atmosphère si particulière qui émane de ses pièces. Rien de mieux toutefois, pour découvrir son travail, que de s’introduire et déambuler à l’intérieur de ses structures en 3D pleines de couleurs.
C’est dans son studio situé à l’ouest de Sydney, qu’il partage avec trois de ses amis, que Jonny Niesche crée ses œuvres abstraites, mélanges de peinture et de sculpture, dont les teintes de bleu et les assemblages de miroirs et de métaux ont fait sa particularité. Après avoir commencé ses études à l’université de Sydney, Jonny Niesche a suivi un master dirigé par Heimo Zobernig à l’Académie des Beaux-Arts de Vienne. Une expérience qui a joué un rôle important dans sa réflexion artistique, nourrie d’influences européennes, en particulier du minimalisme. Son style, qui mêle la simplicité des formes et l’énergie de couleurs vives, titille les sens du spectateur, et fait penser à certains des plus grands artistes du mouvement minimaliste. Jonny Niesche y ajoute aussi une réflexion plus philosophique (avec un nom pareil, si semblable à celui de Friedrich Nietzsche, nous aurions été déçus de ne pas trouver au moins une référence philosophique dans son travail) : « Je suis un grand fan du philosophe français Michel Serres, qui préconise de lutter contre le vacarme du quotidien en laissant s’exprimer nos sens avant tout. »
L’audace et la simplicité de ses vastes étendues de couleur n’est pas sans rappeler les champs colorés des expressionnistes abstraits. Il confirme. « J’ai toujours été intéressé par les grands coloristes comme Josef Albers, Ellsworth Kelly, Mark Rothko, mais aussi par des artistes californiens plus contemporains comme James Turrell and Robert Irwin, qui travaillent aussi beaucoup sur la lumière et la couleur. » En plongeant son regard dans ses dégradés de pastels fluo, ses teintes de bleu turquoise électriques s’estompant face à des roses éclatants, le spectateur s’imaginerait presque devant un coucher de soleil à Miami, cocktails trop sucrés sur la table, ambiance insouciante et chaleur tropicale. Les couleurs intenses semblent se faire écho, se fondant les unes dans les autres tandis que leurs contours flous s’estompent. Une impression qui se retrouve dans des œuvres comme Mutual Vibration (Address the Body Whole) et Vertigo Effects of the Common Thread, qui s’adressent au spectateur et stimulent directement ses sens. Une vision qui définit l’ensemble de son travail : « J’explore jusqu’aux confins du domaine de la peinture et de la pensée abstraite en repensant notre connaissance de l’effet de la lumière et de la couleur sur nos sens. »
‘En dehors’ (scarlet to choral) by Jonny Niesche 2018 @ Sarah Cottier Gallery
Cette palette de couleurs si reconnaissable de l’artiste a aussi quelque chose du glam rock et du maquillage flamboyant des années 70 ou 80, à la David Bowie ou Debbie Harry. C’est le cas de l’œuvre bien nommée En Dehors (Scarlet to Choral) composée de tons intenses de rouge, de rosé et de corail, exposée au Redlands Konica Minolta Art Prize cette année. Pour Cracked Actor, son tout premier solo show exposé à Londres en 2017, l’artiste a présenté une série d’écrans articulés de taille humaine, diffusant des dégradés de couleur extraits de la couverture de l’album Aladdin Sane de David Bowie (le cinquième titre ayant inspiré le nom de l’exposition). Pour Picture This, une série de sculptures indépendantes peintes avec des teintes rectangulaires de mauve, de rose ou d’orange, Jonny Niesche a utilisé des échantillons d’images de la coiffure et du maquillage de Debbie Harry dans les années 70. « Je me revois errer dans les boutiques de vêtements avec ma mère, au début des années 80 », se souvient Jonny Niesche. « Je me rappelle ma stupéfaction en arrivant dans l’allée des cosmétiques. Des surfaces réfléchissantes partout, des miroirs en cuivre poli, et la plus importante profusion de couleurs que j’avais jamais vue. Cette image m’a marqué. C’est de là que vient mon idée de récupérer numériquement des échantillons de couleur pour créer des palettes de couleurs pour certaines de mes œuvres. »
Cette anecdote tirée de son enfance montre à quel point l’artiste, sans nul doute obsédé par les couleurs, est aussi fasciné par les surfaces réfléchissantes. Ses sculptures audacieuses et colorées sont invariablement cerclées de métaux brillants, ou réalisées à partir d’une sérigraphie particulière, qui lui permet de faire des impressions sur du tissu transparent placé par la suite sur des miroirs en acrylique. Le spectateur, qui aperçoit son reflet à travers l’œuvre d’art qu’il contemple, est convié à ce jeu de regards et d’illusions. « J’étais intrigué par une interview de Bruce Nauman, où il parlait de cette situation, quand vous regardez quelque chose que vous désirez à travers la vitrine d’une boutique, et que vous vous retrouvez face à votre propre reflet. » Il réfléchit (oui, le jeu de mot est fait exprès…) à la culture de la consommation et à l’égocentrisme, ces sujets ô combien dans l’air du temps. « Je suis très intéressé par notre obsession actuelle pour les selfies, par ce désir insatiable que nous avons de nous regarder nous-mêmes », continue l’artiste.
Avec ses surfaces réfléchissantes et ses objets en trois dimensions, son travail n’existe réellement que par le biais du visiteur de la galerie, qui se déplace et interagit avec les œuvres, et du lieu où elles sont exposées. « Je tente de faire interagir le spectateur, de l’inclure spatialement, physiquement, alors qu’il contemple l’œuvre », explique Jonny Niesche. Certaines de ses œuvres sont faites avec des contours sinueux, ou sont entourées de courbes en forme de serpentin. D’autres, comme Love Knuckle, ressemblent à un vase Alvar Aalto en cuivre poli, et évoquent les formes voluptueuses d’une femme de profil, étendue. Il explique que ces courbes font bien référence à des corps humains : « Les formes qui laissent entrevoir une apparence humaine me plaisent. Dans une galerie, elles nous aident à nous percevoir nous-mêmes en tant que spectateurs. »
Il continue en expliquant à quel point cette relation entre l’œuvre d’art, l’installation et la personne qui la regarde est importante pour lui. « Je veux créer une conversation visuelle et physiologique entre la pièce, le spectateur et le lieu où mon travail est exposé. Je me suis inspiré d’artistes comme Dan Graham, qui travaille beaucoup avec des formes translucides dans ses installations architecturales et spatiales. Ça m’a poussé à tenter des choses, à jouer avec le regard et la perception du public. Regarder l’œuvre, occuper un espace, partager la vision de la pièce avec un autre spectateur, tout cela participe de la même expérience.
Le public pourra interagir avec son travail une nouvelle fois lors de ses prochaines expositions. Un solo show, Motion picture, à la Station Gallery de Melbourne, qui présentera des pièces agrandies ; un solo show à Vienne pour la galerie Zeller van Almsick, où il exposera sa première monographie, et un solo show à Mayorque en mai, à la galerie Lundgren. Si vous ne pouvez pas acheter un billet pour l’une de ses destinations, manquant là l’occasion d’une escapade et de visiter ces expositions vous-mêmes, vous pouvez toujours vous servir un petit cocktail, et vous imaginer sur une plage au soleil couchant, pendant que vous regardez les photos de ses dernières pièces sur Instagram.